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NOTE DE SYNTHESE de la séance de formation sur la criminalité financière et la corruption dans les FFI : Numéro 04

NOTE DE SYNTHESE DE LA SEANCE DE FORMATION SUR LA CRIMINALITE FINANCIERE ET LA CORRUPTION DANS LES FFI

Consultant : Mme FALL Fatou, Expert Analyste en Défense, Sécurité et Paix

La lutte contre les FFI comprend la sensibilisation des citoyens et la mise à disposition d’outils pour les professionnels évoluant dans ce secteur entre autres. Toutefois, la compréhension des différents aspects des FFI allant des procédés aux outils et aux conséquences est un préalable. Ce combat est d’autant plus important si l’on souhaite prendre convenablement en compte les paramètres afférents à l’intégrité financière et aux enjeux de développement pour les Etats africains.

Il s’agit de permettre à ces derniers de résorber les écarts et d’atteindre une satisfaction immédiate des besoins sociaux à travers une mobilisation effective des ressources, d’autant plus que la question de la transition énergétique figure parmi les enjeux majeurs de nos Etats. En outre, l’employabilité des jeunes apparaît comme étant le facteur le plus important à l’origine de l’instabilité observée en Afrique. Selon le rapport de Thabo Mbeki, la corruption et la criminalité financière constituent un peu moins de 40% des FFI. Toutefois, les impacts étant assez sévères sur l’économie des Etats africains et leur développement, il ressort opportun d’étudier les crimes financiers et la corruption en vue de mieux saisir l’étendue des FFI et émettre des pistes de solutions.

La criminalité financière renvoie à l’infraction du fait de personnes bénéficiant de postes de responsabilités à un niveau très élevé selon Edouard Story Land. En partant de cette définition, Serigne Assane DRAME, magistrat de formation et expert consultant en ressources minérales et droits humains, considère que cette forme de criminalité a beaucoup évolué de nos jours et s’inscrit constamment dans un contexte toujours plus structuré.

Ainsi, il faut comprendre que la criminalité financière regroupe l’ensemble des actes commis par les personnes et les groupes organisés dans le but d’obtenir des services, des biens ou des fonds mais de manière illégale en vue de tirer des avantages financiers. Elle est fortement imbriquée avec la criminalité transfrontalière organisée en ce sens qu’elles sont à cheval entre deux Etats, commises par des groupes organisés et non par des individuels, ce en vue d’obtenir des profits illicites. Dès lors que les FFI constituent des capitaux acquis, utilisés, transférés illégalement, la criminalité transfrontalière organisée peut en réalité se résumer à travers la criminalité financière dans la mesure où son but est de générer des profits par le biais des trafics de drogues, de ressources minérales, d’êtres humains et la cybercriminalité entre autres. Cela se comprend en ce sens que la finalité des activités criminelles est de capter des fonds et générer des ressources. L’on ne peut parler de criminalité financière sans pour autant évoquer la fraude fiscale, les infractions douanières, le trafic de marchandises prohibées, la fraude douanière sur les taxes, le blanchiment de capitaux (actes de conversion de fonds, actes illicites de réintégration des fonds en vue de fournir une apparence de légalité). En réalité, les activités illégales ont un dénominateur commun à savoir le blanchiment de capitaux.

Toutefois, la corruption qui apparaît aussi bien dans la criminalité transfrontalière organisée que dans les infractions financières mérite une attention particulière. Cette pratique aboutit à l’enrichissement du corrupteur mais également du corrompu et généralement à toute personne investie d’un pouvoir de décision. C’est ainsi que l’on distingue la corruption active qui consiste à proposer de l’argent ou un service et la corruption passive renvoyant par exemple aux pots de vin.

L’ampleur des FFI pourrait ne pas être correctement évaluée si l’on se réfère à Birahim SECK,  juriste et Coordonnateur général du Forum Civil (section sénégalaise de Transparency International), qui estime qu’en Afrique, il est important de prendre comme point de départ l’époque du commerce triangulaire qui a généré d’immenses ressources à travers la traite des humains et permis la naissance de banques. Ces flux qui circulaient entre les continents représenteraient les premiers éléments de la globalisation.  Il en va de même en ce qui concerne le taux de corruption qui est sous-estimé par rapport à celui des autres types de criminalité. Cette situation trouverait son explication dans le fait que la corruption est une infraction transversale à tous les autres types de criminalités organisées. A titre d’exemple, dans la traite des êtres humains, la pratique de la corruption est incontournable dans la recherche d’une contrepartie. Ayant constaté cette sous-estimation, Global Initiative a contribué à l’établissement d’un indice visant à évaluer la corruption par rapport à chaque type de criminalité. Ainsi, analyser les criminalités en Afrique de l’Ouest revient à procéder à celle de l’ossature de l’indice de perception de la corruption.  C’est ainsi que cette technique a permis de constater qu’au niveau de la CEDEAO, tous les pays sont dans la zone rouge hormis le Cap-Vert. Il suffit de croiser cet indice à celui du développement humain pour comprendre le niveau élevé et inquiétant que la corruption a atteint dans les pays de la CEDEAO. S’il est avéré que l’indice pourrait être très élevé lorsque les ressources spécifiques aux types de criminalité sont présentes dans un Etat donné, il est important de relever que la position géographique du Cap-Vert et l’absence de certaines ressources éclairent la lanterne quant à cet indice.

De manière synthétique, la criminalité financière englobe :

  • le blanchiment d’argent ;
  • le trafic d’influence ;
  • le détournement de derniers publics ;
  • l’escroquerie sur les derniers publics ;
  • la corruption ;
  • l’enrichissement illicite.

En outre, toute forme d’infraction peut générer une criminalité financière. Il serait intéressant d’analyser la criminalité financière selon que l’on soit dans les domaines de la santé, de la pêche, de l’environnement entre autres ou selon les postures politiques, administratives, judiciaires ou parlementaires. Il est également nécessaire d’analyser la criminalité financière interne favorisée par la corruption et qui est différente de la criminalité transfrontalière organisée.

Résoudre la problématique de la corruption est d’autant plus impérieuse qu’elle recouvre une autre qui alimente les débats dans ce contexte de restructuration économique en corrélation avec les impacts de la pandémie de Covid-19, celle du recouvrement de la dette.

L’opacité existant autour de la conception et de la signature des conventions de financement et l’inaccessibilité des conventions de financement aux sénégalais en raison de l’absence de publication ou encore de divulgation expliquent en partie l’existence de nombreuses commissions qui sont empochées par des personnes bien ciblées dans des secteurs porteurs de l’économie de nos jours.

En plus de ce qui précède, si l’on se réfère à un des rapports de l’Inspection Générale d’Etat ( IGE) qui visait les lettres de confort et de garantie destinées à éponger des dettes privées, aucune action judiciaire n’est à ce jour connue.

Le manque de transparence dans la gouvernance pose également la question de la criminalité financière interne. Cette dernière exercée sur nos dépenses et favorisée par la corruption se manifeste à travers plusieurs facteurs. En effet, le cas du système de gestion des marchés publics est un exemple patent. Il est à relever que depuis 2017, ce système ne dispose pas d’un organe légitime et légal pour en assurer le management intègre. Si l’on se réfère au décret n° 2007-545 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l’ARMP pris en son article 24, les conditions de nomination du directeur général de l’ARMP ne permettent plus à ce dernier d’occuper ce poste depuis 2017 car ayant épuisé ses mandats. Ainsi, la faiblesse du système de gestion et de régulation des marchés est également reflétée par la réapparition de la pratique des contrats de gré à gré malgré la réforme du système de gestion publique il y a quelques années de cela.

En discutant ce qui précède, pour Chantal UWIMANA, consultante et ex-directrice Afrique de Transparancy International, si les lois existantes ne sont pas correctement appliquées, cela n’entrave pas l’élaboration permanente de nouvelles lois et la mise en place de structures ayant pour vocation de lutter contre ces FFI. C’est dans ce contexte que les acteurs de la société civile sont davantage interpellés dans le cadre de la conduite de réflexions plus approfondies. Parallèlement, se pose une autre inconnue dans la résolution de cette équation complexe, à savoir l’engagement des Etats africains à travers leurs dirigeants.

Les promesses de lutte contre la corruption intégrées quasiment de manière systématique dans les programmes de candidats aux élections semblent ne point connaître un aboutissement dans la mesure où les élus ne les respectent guère et continuent à perpétuer les actes de corruption. Afin de rendre réalisables la saisie et la confiscation des avoirs illicites, l’implication des journalistes, des parlementaires, des représentants de certaines institutions étatiques, des banquiers, des avocats, des comptables aussi bien nationaux qu’internationaux en tant que facilitateurs de ces opérations et sans oublier les forces de défense et de sécurité d’autant plus que certains conflits sont maintenus pour faciliter les transactions illicites. Tous ces acteurs doivent donc prendre conscience de tous les enjeux tournant autour des actions posées en vue de faciliter les transactions des multinationales.

Compte tenu de l’évolution constante des procédés relatifs aux crimes financiers et à la corruption, il est nécessaire pour les Etats africains de saisir les efforts de lutte ayant porté des résultats dans d’autres Etats africains afin d’identifier les moyens de les reproduire d’une part, et d’autre part, de mener des réflexions poussées concernant toujours la lutte contre les FFI et ce en conformité avec les réalités spécifiques à chaque territoire tout en intégrant les possibilités d’harmonisation des stratégies.

Les efforts de lutte s’imposent tant sur le plan politique que judiciaire. En effet, une réponse judiciaire adéquate s’impose. Toutefois, y procéder renvoie aux conditions d’existence d’une action concertée. Un accent particulier doit être mis sur le judiciaire afin de pouvoir traquer les criminels, retracer les itinéraires des transactions financières mais aussi le démantèlement des réseaux. Le changement de paradigme passe de l’incarcération systématique à une approche visant à toucher la poche du délinquant par le biais de la saisie des sommes illicites et leur réutilisation à des fins de lutte contre la délinquance.

En outre, il est nécessaire :

  • de remédier aux failles au niveau du système de collecte ou de recouvrement de ressources publiques au niveau des services des impôts et de la douane ;
  • d’associer la société civile aux étapes de conception et de signature des conventions mais aussi amener les organisations qui la composent à être imprégnées des aspects relatifs aux obligations des parties afin qu’elles puissent effectuer le monitoring, émettre des avis sur la légalité et l’opportunité des accords ;
  • de renforcer la transparence dans le système de gestion des marchés publics, notamment en revoyant le rattachement de l’Agence de Régulation des Marchés Publics à la Présidence et les conditions favorisant les marchés par entente directe et ce sous la coupole d’une entité de régulation allant dans le sens de solidifier le système de contrôle des marchés publics ;
  • de mener un plaidoyer visant à imposer des sanctions à l’échelle internationale aux multinationales s’inscrivant dans le registre des FFI mais aussi aux avocats et financiers qui facilitent l’ouverture de comptes à ces entités au niveau des paradis fiscaux.

Par ailleurs, l’expérience au Ghana pourrait être d’un apport considérable dans la recherche de mise en œuvre de sanctions plus efficaces dans le système juridique. Dans les Etats africains, la lutte contre la corruption est politique et souvent instrumentalisée, d’où le caractère incontournable rattaché à la manifestation réelle de la volonté politique.

Les groupes armés devraient être perçus comme des entrepreneurs, des entreprises qui cherchent à tirer profit et qui mobilisent les moyens nécessaires à leur fonctionnement en plus de procéder au   recrutement de ressources humaines qualifiées. La corruption est une infraction difficile à démontrer, d’où la nécessité d’améliorer les méthodes traditionnelles d’enquête qui ne permettent pas d’aller vers une dissuasion sérieuse. Les techniques d’enquête spéciales ont été développées telles :

  • la livraison surveillée ;
  • les écoutes téléphoniques ;
  • l’analyse financière.

Bien que les agences de recouvrement existent, comme en Côte d’Ivoire, ainsi que la Convention universelle des Nations Unies de Mérida, la Convention africaine de Maputo également contre la corruption existent, la coopération doit être renforcée pour juguler de manière pratique les difficultés rencontrées. En effet les méthodes de la valeur nette, de l’analyse financière permettent de détecter des revenus inexpliqués et par conséquent de déclencher des poursuites pour blanchiment de capitaux ou fraude fiscale.

Ainsi, il est également recommandé :

  • de procéder à une séparation nette des pouvoirs en vertu d’une volonté politique réelle ;
  • d’auditer les personnes détentrices de responsabilités à la fin de leur mandat en sus des dispositions relatives à l’incrimination des agents publics et la déclaration de patrimoine, afin de parvenir à une mise en œuvre plus efficiente de la redevabilité dans les Etats africains ;
  • de mettre en cohérence la formation et les efforts de lutte contre la cybercriminalité dans le but d’obtenir des profils plus adaptés à la recherche de preuves ;
  • de mettre en place des pôles judiciaires spécialisés comme au Cameroun et en RCA en vue de contrecarrer les mutations constantes observées dans les divers types de criminalités ;
  • d’adapter la législation pour remédier au caractère obsolète de certains mécanismes ;
  • de renforcer la coopération judiciaire et la coordination aux niveaux national et international ;
  • de déployer les moyens nécessaires à la mise en œuvre des cinq axes stratégiques prévus dans la stratégie nationale de lutte contre le blanchiment d’argent ;
  • de prévoir les fonds nécessaires à la mise en œuvre correcte de la stratégie nationale de lutte contre la corruption dans le budget national ;
  • de procéder à la modification de l’article 65 de loi sur la magistrature de 2007 conférant l’âge de la retraite à 68 ans à un groupe de magistrats, membres d’office du Conseil supérieur de la magistrature ;
  • d’installer un parquet national financier autonome ;
  • de réformer la section de recherches et la division des investigations criminelles et capaciter les ressources humaines ;
  • de mettre en place des brigades financières spécialisées uniquement chargées de mener des investigations sur des dossiers financiers à l’image de celle de Nanterre en France ;
  • de renforcer la coopération entre les CENTIF de la CEDEAO ;
  • d’harmoniser le système d’entraide judiciaire au niveau de l’Afrique ;
  • de décliner un plaidoyer à l’endroit de la CEDEAO afin qu’elle mette la pression sur les banques occidentales pour la conception de mécanismes visant à stopper le transfert de FFI de l’Afrique vers ces entités ;
  • de promouvoir des initiatives comme le boycott des banques identifiées dans les pratiques des FFI en Afrique ;
  • de renforcer le dispositif en matière de cybercriminalité et la formation dans le domaine des outils de compatibilité.

Nous retiendrons qu’une lutte efficace contre les FFI demande certes l’existence et l’opérationnalité de mécanismes dotés de ressources humaines qualifiées mais ne peut être efficiente si la coopération inter-institutionnelle d’une part, et, d’autre part celle judiciaire ne sont pas fortement privilégiées.

Les intervenants

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