FFIPLAIDOYER

NOTE DE SYNTHESE – Combattre les Flux Financiers Illicites en Afrique de l’Ouest

NOTE DE SYNTHESE - COMBATTRE LES FLUX FINANCIERS ILLICITES EN AFRIQUE DE L’OUEST

Numéro 0

Rédactrice  : Mme FALL Fatou,   Expert Analyste en Défense, Sécurité et Paix

LEGS Africa, en partenariat avec GIZ, a procédé au lancement officiel du programme de formation visant à lutter contre les flux financiers illicites. A ce titre, la session introductive du 27 janvier 2021 a permis aux 45 auditeurs retenus sur plus d’une centaine de candidats ainsi qu’au grand public d’en saisir les enjeux principaux.

Les flux financiers illicites constituent un fléau mondial qui touche certes les pays développés mais surtout de nos jours les pays en voie de développement. La première question qui se pose est de savoir pourquoi les pays en voie de développement en font plus les frais que les pays du nord. En outre, celle renvoyant aux conséquences sur les Etats africains et surtout de l’Afrique de l’Ouest se pose également.

C’est dans ce contexte que le Représentant de LEGS Africa, Monsieur Elimane Haby KANE a décliné dans ses propos liminaires des éléments de réponse mais a surtout procédé à la contextualisation de cette notion de flux financiers illicites à travers des illustrations afin de permettre à tout un chacun d’en saisir la teneur et l’ampleur. Ainsi, en partant du mode de fonctionnement de l’économie de manière globale, ceux-ci reposent sur des pratiques économiques qui renforcent l’état inégalitaire de la répartition des richesses à l’échelle humaine. En effet, selon les estimations, les personnes les plus riches de la planète, soit 1%, concentrent à elles seules plus du double des richesses cumulées par plus de 6,9 milliards de personnes. Le rapport d’Oxfam sur les inégalités illustre cette situation en estimant que si chaque personne épargnait 10000$ par jour depuis la construction des pyramides d’Egypte, donc depuis plus de 3000 ans, le cumul ne serait égal qu’au cinquième de la fortune moyenne des milliardaires les plus riches au monde. L’élargissement constant du fossé existant entre les plus riches et les plus pauvres en termes d’inégalités et impliquant alors le problème du progrès économique et social ou en d’autres termes le problème du financement du développement dans les pays d’Afrique s’explique en partie par l’absence d’un dispositif prenant en compte tous les éléments nécessaires à la lutte contre les flux financiers illicites. Ce constat est renforcé si l’on part de la définition même de cette notion qui renvoie à tous les capitaux acquis, transférés ou utilisés illégalement selon la Commission économique africaine. En outre, il faudrait relever la rareté des débats ou des réflexions sur cette question, il y a à peine une dizaine d’années et que le rapport Thabo Mbeki commandité par les chefs d’Etats de l’UA a été une occasion de sérieusement poser le débat autour de la question des flux financiers illicites et ainsi le placer de plus en plus au cœur de discussions au cours des conférences internationales mais aussi celle sur le financement du développement qui s’est tenue à Addis-Abeba en juillet 2015.

Malgré les campagnes de sensibilisation déployées par différents organismes, il est à constater que les populations se préoccupent peu de ces questions et sont par conséquent faiblement impliquées. Ceci s’explique également en partie par l’appréhension qu’elles ont vis-à-vis de ces questions qu’elles assimilent comme étant de la compétence de techniciens ou d’experts en la matière. Cet état de fait est déplorable puisque cette problématique relève de l’expression même de la démocratie, de la volonté des peuples et de leurs droits économiques et sociaux.

Selon la banque mondiale, les sommes versées par année en pots de vin à l’échelle mondiale sont de l’ordre de 1500 milliards de $, soit un montant largement supérieur à celui de l’aide au développement. Bien que des montants colossaux aient fait l’objet de fuites, il est encore temps pour les Etats africains de mettre en œuvre des systèmes adéquats afin de capitaliser ces flux qui pourraient être investis dans les secteurs porteurs du développement durable tels l’agriculture, l’éducation entre autres.

De manière synthétique, comprendre l’ampleur des flux financiers illicites revient à prendre en considération que :

  • la corruption, les pots de vin, l’évasion fiscale coûtent aux pays en voie de développement jusqu’à 1,3 milliards de $ par an ;
  • la contrefaçon représente 9% du commerce mondial ;
  • la cybercriminalité procure des revenus illicites jusqu’à presque 200 milliards de $ par an ;
  • 40 % des entreprises occidentales déclarent avoir été victimes d’agissements frauduleux ;
  • le coût de la fraude est estimé à 2,2 millions de $ en moyenne par entreprise ;
  • la fausse facturation dans le commerce international en Afrique atteint environ 30 à 52 milliards de $, et contribue à une fuite de capitaux estimée à 88,6 milliards de $ ;
  • les flux financiers illicites ne renvoient pas uniquement aux flux financiers considérés sur le plan juridique comme étant illégaux mais englobent également des aspects relevant de l’éthique dans la mesure où certains types de transactions ne relèvent pas de l’éthique même si elles ne sont pas toujours frappées d’illégalité selon certaines juridictions ;
  • l’existence de failles dans les mécanismes de régulation de la fiscalité internationale contribue à amplifier les flux financiers illicites ;
  • les produits qui découlent de tout ce qui est relatif aux flux financiers illicites et délits sous-jacents en général ne profitent plus qu’aux criminels.

En nous référant au rapport Thabo Mbeki, les flux financiers illicites s’appréhendent à travers les trois registres qui suivent :

  • le registre le plus important (60%), celui du commerce où l’on parle de recettes, d’évasion fiscale, de fausses déclarations, de fausses factures liées aux activités commerciales, de blanchiment d’argent au moyen d’opérations commerciales ;
  • le registre des crimes qui englobe les recettes liées aux activités criminelles (trafic de stupéfiants, contrebande, contrefaçon, racket, financement du terrorisme) ;
  • le registre de la corruption qui gangrène nos Etats où il est question de recettes de vol, de trafic d’influence, de pots-de-vin, de détournement de la richesse nationale par des représentants du gouvernement.

Afin de mieux comprendre les enjeux, Monsieur Elimane POUYE, Inspecteur principal des Impôts et des domaines et panéliste considère qu’il est nécessaire de consacrer la première session de formation aux aspects définitionnels du concept de flux financiers illicites, à la jurisprudence et à la doctrine y afférentes, à l’identification des différentes catégories et à la compréhension des notions et termes connexes. Dès lors, il sera plus aisé de différencier les concepts qui ne relèvent pas du cadre des flux financiers illicites. Ceci étant, il convient de mettre l’accent sur les prix de transfert qui sont au cœur de la problématique des flux financiers illicites et de dérouler le programme de formation en trois sessions. 

  • Session 1 : exposer les aspects théoriques, conceptuels et définitionnels de la notion de flux financiers illicites.
  • Session 2 : fixer le cadre juridique, rappeler l’ensemble des dispositions d’ordre légal ou réglementaire qui ont été adoptées par le Sénégal pour encadrer et lutter contre les flux financiers illicites, établir le lien entre ceux-ci et la politique fiscale.
  • Session 3 : faire le point sur les modes opératoires des flux financiers illicites notamment dans le secteur des industries extractives (l’évitement fiscal, la fraude fiscale, l’évasion fiscale, etc.).

Selon le Coordonnateur du programme régional de lutte contre les flux financiers illicites de la GIZ, Me Essiamé Koko Dzoka, le programme comporte trois axes à savoir la prévention (formation, sensibilisation), l’investigation financière (appui à la CENTIF, aux organes policiers et judiciaires), et l’appui aux Etats dans le cadre du recouvrement des avoirs en soutenant toutes les initiatives qui œuvrent dans ce domaine. Ces aspects seront soutenus par Dr Dialigué BA, spécialiste principal du secteur public à la Banque mondiale et panéliste qui soumet à la réflexion la problématique suivante : quelles sont les réponses qui ont été mises sur pied par les Etats africains à travers les politiques internes, les organisations internationales pour gérer cette problématique difficile aussi bien pour les pays développés que pour les pays en voie de développement ?

Il considère que le plan politique ne peut être écarté dans la recherche de solutions en ce sens que les flux financiers illicites constituent une donnée pour mesurer l’efficacité de l’Etat et apprécier le dispositif de riposte mis en place de par l’analyse des politiques existantes. Si l’on sait qu’environ 50 milliards de dollars sont perdus par les Etats africains, des chiffres exacts ne peuvent être avancés pour le cas du Sénégal ; puisqu’étant inexistants. Toutefois, l’ampleur au Sénégal peut être évaluée à partir des données relatives à la fraude et à l’évasion fiscale au terme de l’exercice de contrôle effectué par l’administration fiscale. En effet, le contrôle fiscal permet à l’Etat d’engranger plus de recettes notamment avec le redressement, le paiement des impôts éludés, les procédés de dissuasion à la fraude. Cet expert des flux financiers illicites considère par ailleurs que le système de riposte est plus ou moins efficace au Sénégal eu égard au fait que les données disponibles dans ce sens ne révèlent pas des montants aussi exorbitants comparés aux statistiques globalisées.

Ainsi, les flux financiers illicites impactent négativement sur le développement des Etats africains dans la mesure où :

  • les recettes fiscales représentent une grande partie des ressources sur lesquelles misent les Etats africains pour assurer leur développement ;
  • les entreprises indépendantes sont en avance sur les administrations en matière de gestion de la comptabilité et de maîtrise des moyens de contournement des dispositifs de contrôle ;
  • dans des secteurs phares comme celui des industries extractives, les multinationales arrivent à contourner les conventions fiscales et le droit interne et ne pas se conformer à un régime d’imposition normal ;
  • certaines entreprises ont recours à un excès d’optimisation fiscale c’est-à-dire usent de manière abusive de possibilités de payer moins d’impôts lorsque la législation les prévoit ;
  • les administrations éprouvent des difficultés en termes d’accès à l’information financière ;
  • les conventions internationales constituent de nos jours des couloirs d’évasion.

Le secteur des industries extractives serait le plus touché par les flux financiers illicites selon Monsieur Boureima CISSE, économiste et fiscaliste, spécialiste de l’audit des projets miniers et travaillant pour le compte de l’ITIE au Mali. Selon ce panéliste, les pays de la CEDEAO dépendent des industries extractives notamment en termes de PIB, soit 70% s’agissant du Mali avec les recettes d’exportations liées à l’or. Dans ce secteur, les flux financiers illicites sont enregistrés dès l’octroi de la concession minière en raison de la pratique des pots-de-vin. L’enjeu est d’autant plus important dans le Sahel au regard de la situation sécuritaire très dégradée puisque les groupes armés s’accaparent de plus en plus des ressources au niveau des sites miniers. Un autre enjeu de taille à savoir l’émigration clandestine est à prendre en compte en Afrique de l’Ouest selon le chercheur en géopolitique, Souleymane Diop NIANG. Dès lors, si l’on conçoit les flux financiers illicites comme étant le transfert des revenus devant revenir à une communauté vers une autre communauté d’après Monsieur Magueye BOYE, Inspecteur principal des impôts et domaines, spécialiste des questions de fiscalité transfrontalières et panéliste, la maîtrise des outils manipulés pour les prix de transferts et se présentant sous des formes multiples (l’outil fiscal, les pratiques fiduciaires, etc.) est importante d’autant plus que la chaîne fiscale n’est pas uniquement locale mais internationale et que la logique des entreprises multinationales réside dans le fait de s’installer là où la maximisation du profit net est possible. Selon la définition de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), les prix de transfert sont “les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées”.

En réalité au Sénégal, trois éléments fondamentaux sont à prendre en compte dans la lutte contre les flux financiers illicites à savoir les prix de transfert, les conventions fiscales et les initiatives prises pour lutter contre ces pratiques. Par conséquent, il s’agit impérativement de comprendre et faire comprendre les indices de détection des flux financiers illicites selon Will FITZGIBBON, journaliste d’investigation et coordonnateur du réseau des journalistes d’Afrique et du Moyen-Orient partenaires du Comité international des Journalistes d’Investigation (ICIJ).

Afin de lutter efficacement contre les flux financiers illicites, il est nécessaire :

  • de sensibiliser toutes les couches de la population afin que les impôts soient payés correctement et l’identification des voies de contournement puisse être pleinement effectuée ;
  • de renforcer les compétences des ressources humaines et les capacités technologiques au niveau des administrations afin de mobiliser les données essentielles destinées à limiter les moyens de contournement utilisés par les entreprises ;
  • de procéder au renforcement de la structuration des mécanismes de contrôle (prévention et maîtrise des flux), de vérification et d’audit ;
  • de prendre en compte les irrégularités dans le secteur informel ;
  • de mener la réflexion afin de remédier aux failles de la réglementation permettant aux multinationales de ne pas se soumettre à une imposition réglementaire ;
  • de renforcer les outils d’évaluation des risques liés au financement du terrorisme bien que la CENTIF existe dans tous les Etats de la CEDEAO ;
  • de définir des indicateurs d’alerte à l’échelle régionale et de les vulgariser ;
  • d’évaluer la contribution des administrations dans le bénéfice réel des entreprises multinationales sachant que le prix de transfert est un enjeu de taille ;
  • de lutter contre l’excès d’optimisation fiscale et l’utilisation abusive des conventions fiscales ;
  • de sécuriser davantage les dispositions des conventions internationales ;
  • d’impliquer davantage les acteurs de la société civile, les journalistes, les activistes et bloggeurs en vue d’accompagner les décideurs, rendre la question des flux financiers illicites accessibles aux populations de l’Afrique de l’ouest et bâtir une alliance citoyenne contre les flux financiers illicites ;
  • d’élargir les programmes de formation et de sensibilisation à tous les acteurs de l’administration, des organes de lutte, aux élus et autres organisations de la société civile ;
  • d’encourager des initiatives comme l’initiative BEPS ou encore le projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert indirect de bénéfices ayant mobilisé plusieurs juridictions pour procéder à l’identification des couloirs d’évasion fiscale, des pratiques des multinationales et autres entreprises de manière générale, à la proposition de mesures de lutte ;
  • de soutenir les initiatives à la transparence, notamment lorsqu’elles font recours aux nouvelles technologies ;
  • d’élaborer des mécanismes de facilitation pour la mise en œuvre de l’assistance technique en matière de recouvrement prévue par plusieurs conventions en vue d’aider les Etats à recouvrir leurs avoirs à travers la coopération étrangère.

Si l’on considère le potentiel énorme en richesses dont dispose l’Afrique en plus du flux important de perte de capitaux dans un contexte de pauvreté accentué, une meilleure compréhension de la question des flux financiers illicites s’impose chez les populations afin de pouvoir mobiliser les ressources encore perdues à ce jour et pouvoir déployer les politiques adéquates afférentes à la protection sociale, à l’employabilité et de manière élargie à tous les aspects soutenant le développement durable. 

Une réflexion au sujet de « NOTE DE SYNTHESE – Combattre les Flux Financiers Illicites en Afrique de l’Ouest »

  1. Les différentes formes de FFI sont clairement définies ici, et presque tous les détails sont fournis pour mieux faire comprendre les pratiques qui y mènent.
    Mais je m’attendais aussi, à la suite de ces définitions, à voir des propositions de luttes pour enrayer ces actions illicites de la part des gouvernants et autres autorités étatiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *