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NOTE DE SYNTHESE – Réponses des parties prenantes : Numéro 02

NOTE DE SYNTHESE - RÉPONSES DES PARTIES PRENANTES AUX FFI

Numéro 2 – MARS 2021

Les réponses des parties prenantes dans la lutte contre les flux financiers illicites englobent aussi bien celles des Etats, des organisations internationales que des organisations de la société civile. Il s’agit d’évaluer le niveau de préparation des Etats africains à faire face à ce fléau des FFI qui plombe leur développement. En effet, le rapport Thabo Mbéki reflète la saignée de l’Afrique causée par ces FFI et dès lors pousse à s’interroger sur les actions posées par les administrations au niveau des Etats et à dégager d’autres pistes de solutions.

Pour une meilleure compréhension de la question des FFI, il est important de partir de la définition de ce concept et des travaux de l’UA qui constituent le fondement de toute la réflexion menée à ce jour en Afrique. Ainsi, selon Dr Victor Stephane ESSAGA, Inspecteur principal des impôts et fondateur de CARPEM, les FFI se définissent sous 4 angles :

  • les activités criminelles ;
  • les activités politico-financières ;
  • les activités fiscalo-financières ;
  • les activités commerciales.

Les Etats africains disposent de plus d’informations sur les activités fiscalo-financières, qui sont d’ailleurs les plus fréquentes. Cet état de fait s’expliquerait par l’organisation de nombreux foras mondiaux relativement à cette question et la présence des Etats africains, bien que passifs, aux échanges en vue de réfléchir sur des solutions. En outre, les activités commerciales sont également dans le champ d’actions et de connaissances et mettent en évidence le déficit de technicité au niveau des administrations africaines en ce qui concerne les transferts de capitaux à caractère anormal.

Pour Thialy FAYE, expert en politiques et administrations fiscales, les campagnes de sensibilisation ont été menées depuis la publication du rapport Thabo Mbéki. Des campagnes à l’échelle nationale et sous-régionale en prélude à la conférence internationale sur le financement du développement avaient été menées en vue de pousser les Etats africains à avoir une position commune à défendre.

Aux côtés des Etats, les organisations de la société civile ont toujours été engagées dans la lutte contre les FFI. C’est à ce titre qu’il était question :

  • de solliciter de la part des Etats membres de l’ONU la création d’un organisme fiscal mondial afin d’obtenir un cadre plus neutre et qui collerait aux réalités des pays du Sud ;
  • de renforcer les éléments de réponse dans la lutte contre les FFI avec la campagne Stop the Bleeding (Arrêtez l’hémorragie ! ) et de promouvoir la mobilisation des ressources domestiques ;
  • de combler le déficit dans le domaine de la recherche s’agissant des FFI et sachant que la publication des rapports s’opère de manière périodique ou occasionnelle ;
  • de mettre en place des indices par les organisations de la société civile tels le Fair Tax Monitor ou encore l’indice ou le baromètre sur la fiscalité équitable afin de disposer d’un outil africain de mesure et de l’internationaliser par la suite, l’indice des paradis fiscaux permettant d’actualiser la liste des juridictions financières opaques et d’établir la relation fiscalo-commerciale à avoir avec ces Etats ;
  • de remédier à la faiblesse de la sensibilisation des populations afin de pouvoir mobiliser les ressources pour un développement durable et disposer d’une masse critique d’acteurs en vue de stopper l’hémorragie financière et fiscale ;
  • de susciter une réelle volonté politique. En effet, en raison de l’impact des plus grands cabinets fiscaux qui en réalité influent sur les politiques fiscales des Etats africains, le réseau des Parlementaires Africains sur les Flux Financiers Illicites et la Fiscalité (APNIFFT) a été créé pour lutter contre les FFI et comprend des parlementaires de divers pays africains. Il faut relever que l’effet escompté n’est à ce jour pas atteint ;
  • de coordonner les travaux menés par différents groupes de réflexion étant donné que l’absence d’une étroite collaboration a longtemps plombé l’efficience des actions. C’est dans ce contexte qu’une seule campagne de lutte contre les FFI avec des ramifications au niveau des Etats aurait été souhaitable. Cette conception a donné naissance à Global Tax Alliance Forum, qui regroupe à ce jour de nombreuses organisations qui s’activent dans la lutte contre les FFI.

En vue d’atteindre un idéal à savoir la renégociation pour de nouveaux termes du financement international du développement, il apparaît important d’évaluer l’adaptabilité des initiatives globales prises à l’échelle internationale par des Etats capables de supporter les moyens de la lutte contre les FFI aux réalités des Etats africains qui ne s’inscrivent pas dans le même registre.

 

S’agissant de cette problématique, Dr Victor Stephane ESSAGA considère que l’appropriation de cette dernière par la société civile n’est pas facile et évidente mais l’on assiste de plus en plus à une spécialisation des centres d’intérêt motivée par une capitalisation de l’expertise et une orientation spécifique et constante des thématiques de réflexion sur les FFI à l’échelle internationale.

 

A cela s’ajoute la question de la réduction des recettes fiscales ayant plus d’impact en Afrique qu’en Europe. En effet, l’impôt sur les personnes physiques est plus important que l’impôt sur les sociétés en Europe alors que l’inverse se produit dans les Etats africains. Ainsi, les personnes ne sont pas correctement fiscalisées en Afrique. 

 

Parallèlement, la structure des économies africaines et donc des budgets pose aussi un problème car 85% des Etats africains sont dépendants du secteur des industries extractives. Malgré les recommandations fortes des institutions internationales, les intérêts africains ne sont pas vraiment pris en compte en sus du rapport de dépendance de 60% des Etats africains producteurs en matière extractive à l’endroit des Etats occidentaux transformateurs.

 

La solution réside dans le changement de comportement en matière fiscale d’autant plus que d’après les deux grandes écoles en matière de fiscalité internationale :

  • il faudrait imposer les activités en fonction du lieu de résidence de celui qui gagne de l’argent ;
  • le pays source détient la légitimité fiscale. En d’autres termes, le critère de fiscalisation repose sur le pays de l’origine du revenu.

En privilégiant le critère de résidence contrairement au modèle de convention de l’ONU qui opte pour le pays source, les modèles de l’OCDE offrent davantage un cadre de protection aux entreprises multinationales et renforcent le lien de dépendance avec les Etats africains qui se souscrivent à ces dispositions au détriment de la défense des pouvoirs relevant pourtant de leur souveraineté.

Dès lors, la bataille de la participation autonome des Etats africains dans la construction d’un nouveau régime fiscal international doit reposer sur la protection des intérêts africains.

Eu égard à ce qui précède, le renforcement du pouvoir d’action des Etats pourrait se faire :

  • à travers la mise en œuvre du plan d’action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) qui comporte 15 actions en fonction du niveau de saignée enregistré par les Etats ;
  • avec l’adoption du modèle de l’ATAF ( African Tax Administration Forum) qui convient le plus compte tenu de la structure des conventions fiscales signées par les Etats africains. Ainsi, African Tax Research Network est un mécanisme de l’ATAF qui vient en supplément et ayant pour objectif la production d’articles pointus sur une thématique donnée permettant de mieux prendre en compte la réalité du terrain africain. L’exemple de la fiscalisation des entreprises du numérique est une problématique actuelle et cruciale ;
  • en partant également du programme de transition fiscale élaboré au niveau de la CEDEAO et qui offre la possibilité d’abandonner la fiscalité de porte pour pouvoir se focaliser sur la fiscalité interne sachant que les politiques de l’OMC visent à éradiquer les frontières douanières ;
  • en palliant à la faiblesse des administrations fiscales à travers la mise en place d’équipes dédiées, bien formées en finance internationale ;
  • en procédant à la réforme de la législation au niveau des pays africains mais de manière collégiale et en y associant les organisations de la société civile afin de pouvoir contrecarrer le poids des entreprises multinationales ;
  • en développant des initiatives de formation des jeunes et des autres types d’acteurs à l’image de Tax Justice Academy qui s’évertue à former la jeunesse africaine sur les FFI et en organisant des conférences panafricaines.

Aux solutions pourrait se rajouter l’harmonisation fiscale dans les Etats africains sachant que la question fiscale relève de la souveraineté des Etats. Toutefois, celle-ci serait difficilement réalisable dans la mesure où les Etats continuent à légiférer chacun de leur côté, notamment en matière extractive. Une étape préalable, à savoir celle de la dématérialisation pourrait constituer un instrument de réduction de l’opacité en ce sens que l’information serait plus disponible et accessible. Bien que le caractère instrumental des textes semble conférer des limites aux Etats, il ressort que les textes ne suffisent pas eu égard au fait que les administrations ne sont pas bien informées, formées et animées d’une volonté réelle.

En outre, se pose la question de la transparence dans les négociations internationales si l’on se projette sur un système de reddition des comptes fonctionnel et que l’on s’inscrit dans une logique d’augmentation du profit. Or, le déphasage existant en matière de réforme des textes entre les Etats africains et les Etats du Nord laisse clairement apparaître que la stabilisation des contrats constitue un frein pour certains Etats ayant déjà évolué sur ce volet.

En d’autres termes, la transparence et la négociation sont des exigences pour la viabilité et l’évaluation de l’efficience, raison pour laquelle la société civile occupe une place très importante en tant qu’organe de veille sur les administrations et levier d’imposition d’une discipline aux acteurs.

Au-delà des aspects relatifs à la stabilisation des contrats, une problématique qui ressort au niveau des Etats africains est celle de la maîtrise des prix de pleine concurrence. Sa résolution passe nécessairement par l’existence d’une base de données qui s’avère être inaccessible à de nombreux Etats africains. Toutefois, la mutualisation des forces pourrait permettre de relever ce défi d’autant plus que l’intelligence artificielle se positionne derrière toute politique dans les pays développés.

Par ailleurs, l’adoption de régies financières communes dans les pays francophones constituerait un moyen de partage et d’accès à l’information plus efficace.

Parallèlement, l’administration devrait être dotée de tous les moyens adéquats pour procéder à la mise en œuvre de la Convention multilatérale sur l’échange automatique de renseignement afin de pouvoir disposer de toutes les informations fiscalo-financières de toutes les multinationales présentes en Afrique de l’ouest.

Si la coopération fiscale peine à être des meilleures dans la zone UEMOA et qu’à côté de la faiblesse des textes liée aux faiblesses structurelles, persistent les conflits d’intérêts avec la problématique des bénéficiaires effectifs, les Etats continueront à enregistrer des difficultés dans la lutte contre les FFI.

Partant du constat selon lequel il n’existe pas de fiscalité à l’échelle nationale dans le domaine des industries extractives, une réponse locale organisée à partir de nos Etats serait souhaitable. En effet, la volonté de l’Etat en droit international ne doit occulter la cohérence avec les nouvelles orientations fiscales. Il faut alors une force institutionnelle capable de surveiller tout cela et que la société civile se donne également pour objectif de déceler dans les Conventions fiscales les clauses contraires à celles déjà signées par les mêmes Etats.

Si les transactions commerciales constituent 65% des FFI, les crimes financiers et la corruption sont bien présents parmi les facteurs générateurs de FFI. De nombreux chercheurs ont montré que la corruption a été largement sous-estimée dans le rapport Thabo Mbéki.

 

En définitive, bien que dotés d’organes de lutte contre le blanchiment de capitaux et la corruption, les Etats devraient renforcer les pouvoirs de ceux-ci afin de leur permettre d’effectuer efficacement le suivi des dossiers instruits entre autres, mais également remédier au déficit de moyens et de ressources qualifiées et spécialisées dans les administrations.

Considérant que l’accès à l’information constitue véritablement un frein dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et la corruption, la taxation du train de vie de la personne permettrait de reconsidérer sa situation fiscale. Ainsi, l’utilisation de cet instrument faciliterait l’emprunt d’une démarche visant à s’inscrire dans une logique de rattrapage des fuites de capitaux et aussi de sauvegarder le tissu social.

De même, l’éthique devrait prendre plus de place dans l’action publique et les jeunes doivent s’approprier les différentes branches du secteur des FFI en vue de contribuer à la divulgation des mauvaises pratiques et la vulgarisation de pistes de réflexion constructives.

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